D pour Dossiers de naturalisation, retrouver l'ancêtre venu d'ailleurs

Publié le 4 novembre 2025 à 09:30

Bienvenue dans ce quatrième volet de notre #ChallengeAZ ! Nous avons arpenté les archives, déchiffré les registres paroissiaux et localisé les maisons de nos aïeux. Nos recherches nous ont solidement implantés sur le sol français. Mais que se passe-t-il quand une branche de notre arbre semble flotter en l'air, rattachée à une simple mention : "né à l'étranger" ? Un nom de famille à la consonance polonaise, italienne, espagnole ou belge qui tranche avec les patronymes du village. Un recensement qui indique laconiquement "nationalité : prussienne" ou "sujet du roi de Sardaigne".

Pour de nombreux généalogistes, c'est le début d'un "mur de briques", un brick wall comme disent nos cousins anglophones. Comment retrouver la trace de cet ancêtre immigrant ? Comment savoir de quel village précis de Pologne ou de quelle province d'Italie il est parti ? Comment comprendre son parcours, les raisons de son départ, les étapes de son intégration ? La clé de cette énigme se trouve souvent dans une source d'une richesse biographique inégalée : le Dossier de Naturalisation.

Si votre ancêtre étranger a fait la démarche de devenir français, il a laissé derrière lui un trésor. Son dossier n'est pas un simple document administratif ; c'est le récit de sa vie. C'est une autobiographie provoquée par l'administration, un condensé de son histoire personnelle, familiale et professionnelle. C'est souvent le seul endroit où vous trouverez, noir sur blanc, son acte de naissance du pays d'origine, le document qui vous permettra enfin de faire le lien avec "l'autre côté".

Consulter un dossier de naturalisation, c'est assister à la transformation d'un étranger en citoyen. C'est entendre sa voix à travers ses déclarations, comprendre ses motivations, et voir comment la République l'a accueilli, l'a scruté, et finalement l'a accepté en son sein.

Dans ce guide, nous allons ouvrir ces dossiers exceptionnels. Nous verrons comment la notion de nationalité française a évolué, nous détaillerons la composition de ces véritables mines d'or, et nous apprendrons où et comment les trouver. Préparez vos passeports, nous partons sur les traces de ces ancêtres qui ont choisi la France.

Chapitre 1 – « Devenir Français », une longue histoire

Avant de chercher les dossiers, comprenons le contexte. La manière dont on devient français n'a pas toujours été la même. Les lois sur la nationalité ont beaucoup évolué, et ces évolutions expliquent la nature et l'existence même des dossiers que nous cherchons.

Avant la Révolution : Sujet du Roi

Sous l'Ancien Régime, on n'est pas "citoyen français", mais "sujet du roi de France". La nationalité, appelée "qualité de Français", s'acquiert principalement par la naissance sur le sol du royaume (le droit du sol). Un étranger, appelé "aubain", est soumis à un droit spécifique, le droit d'aubaine, qui permet au roi de s'approprier ses biens à son décès. Pour échapper à cette condition et jouir des mêmes droits qu'un Français, un étranger pouvait demander au roi des "lettres de naturalité". Ces lettres, accordées au cas par cas, sont les ancêtres de nos décrets de naturalisation. Elles sont cependant rares et concernent surtout des personnes d'un certain rang (artisans qualifiés, banquiers, militaires...).

1804 : Le Code Civil et le Droit du Sang

La Révolution et l'Empire changent la donne. Le Code Civil de 1804 pose un principe nouveau et fondamental : "Est Français tout individu né d'un père français". C'est le triomphe du droit du sang. Le lieu de naissance n'a plus d'importance. Parallèlement, le Code prévoit qu'un étranger peut demander sa naturalisation après dix ans de résidence et une autorisation du chef de l'État. La procédure se formalise.

Les grandes lois de la IIIe République : L'appel à l'immigration

La fin du XIXe siècle et le début du XXe sont marqués par une forte immigration (belge, italienne, polonaise, espagnole...) pour combler les besoins de l'industrie et le déficit démographique, aggravé par la guerre de 1870. La France a besoin de bras et de futurs soldats. Les lois sur la nationalité vont s'adapter :

  • La loi de 1889 : C'est une loi majeure. Elle combine droit du sang et droit du sol. Est désormais automatiquement Français à sa majorité l'enfant né en France d'un parent étranger qui y est lui-même né. L'enfant né en France de parents étrangers nés à l'étranger peut réclamer la nationalité française à sa majorité. La naturalisation est aussi facilitée, le délai de résidence étant ramené à trois ans dans certains cas.
  • La loi de 1927 : Elle simplifie encore les procédures. Le délai de résidence pour une demande de naturalisation est abaissé à trois ans. Cette loi va provoquer une vague de naturalisations très importante dans les années 1920 et 1930.

C'est principalement à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, et surtout après la loi de 1927, que les dossiers de naturalisation deviennent nombreux et standardisés, formant la source massive que nous connaissons aujourd'hui.

Chapitre 2 – L'anatomie d'une mine d'or : Que contient un dossier de naturalisation ?

Ouvrir une chemise cartonnée contenant un dossier de naturalisation est un moment que l'on n'oublie pas. On y trouve une accumulation de documents qui, mis bout à bout, dessinent le portrait le plus complet que l'on puisse espérer de son ancêtre. Voici un inventaire (non exhaustif !) des trésors que vous pouvez y dénicher.

  1. Les pièces d'état civil : Le Saint-Graal

C'est souvent la première chose que l'on cherche, le document qui à lui seul justifie toutes les recherches :

  • L'acte de naissance de votre ancêtre, en version originale et souvent traduit. Il vous donnera sa date et son lieu de naissance précis dans son pays d'origine, ainsi que les noms de ses parents. C'est la clé qui vous permettra de poursuivre vos recherches dans les archives polonaises, italiennes, etc.
  • L'acte de mariage si l'ancêtre était marié.
  • Les actes de naissance de tous ses enfants, même ceux nés à l'étranger.
  • Parfois, les actes de naissance de ses propres parents.
  1. La demande de l'intéressé : Sa propre voix

La procédure commence par une demande manuscrite de votre ancêtre, adressée au Garde des Sceaux. Il y expose ses motivations. Les formules sont souvent stéréotypées ("désirant fixer définitivement mon sort et celui de mes enfants dans ma patrie d'adoption..."), mais c'est sa propre écriture, sa propre signature.

  1. Le questionnaire et les déclarations : L'autobiographie

Le postulant devait remplir des formulaires très détaillés ou répondre à un interrogatoire. C'est une source d'informations biographiques phénoménale :

  • Son parcours depuis son arrivée en France : date et lieu d'arrivée, liste de tous ses domiciles successifs, liste de tous ses employeurs.
  • Sa situation familiale : nom de son épouse, date et lieu de leur mariage, liste de ses enfants avec leurs dates et lieux de naissance.
  • Sa famille restée au pays : il devait souvent lister ses parents, frères et sœurs, avec leur domicile dans le pays d'origine. Une information inestimable !
  • Ses motivations : pourquoi a-t-il quitté son pays ? Pourquoi veut-il devenir français ?
  • Sa situation militaire dans son pays d'origine (a-t-il fait son service ?).
  1. L'enquête de moralité : Le regard des autres

L'administration ne se contentait pas des déclarations du postulant. Elle menait une enquête approfondie, confiée au préfet, qui la déléguait à la police ou à la gendarmerie. Le rapport d'enquête est une plongée dans la vie sociale de l'ancêtre :

  • Interrogatoire des voisins : "Est-il un bon père de famille ? N'est-il pas buveur ? A-t-il de bonnes mœurs ?"
  • Avis de l'employeur : "Est-il un bon ouvrier, ponctuel et assidu ?"
  • Avis du maire : "Est-il bien intégré dans la commune ? Parle-t-il français ?"
  • Vérification du casier judiciaire.
  • Opinions politiques : Le rapport mentionne souvent si l'individu est connu pour des activités politiques ou syndicales.

Ce rapport nous donne une vision de la perception que la société locale avait de notre ancêtre.

  1. Le Décret de Naturalisation

Si la demande est acceptée, le dossier se clôt par une ampliation (une copie officielle) du décret publié au Journal Officiel, faisant de votre ancêtre un citoyen français.

En somme, le dossier de naturalisation est un véritable roman familial, avec ses documents officiels, ses témoignages, ses enquêtes... une source d'une densité exceptionnelle.

Chapitre 3 – Le guide de l'explorateur : Où et comment trouver ces dossiers ?

La recherche de ces dossiers demande une méthode précise, car ils sont centralisés et ne se trouvent généralement pas dans les Archives Départementales que nous avons appris à connaître.

Le lieu principal : Les Archives Nationales

La grande majorité des dossiers de naturalisation (depuis 1803 environ) est conservée aux Archives Nationales, sur le site de Pierrefitte-sur-Seine. C'est le passage obligé.

  • Pour les naturalisations entre 1880 et 1930 : la sous-série BB/34.
  • Pour les naturalisations postérieures à 1930 : les fonds du Ministère en charge des naturalisations (conservés sous la cote NAT).

La méthode de recherche : La salle des inventaires virtuelle (SIV)

La recherche se fait quasi exclusivement via la Salle des Inventaires Virtuelle (SIV), le moteur de recherche des Archives Nationales.

  1. Accédez à la SIV sur le site des Archives Nationales.
  2. Utilisez la recherche simple ou avancée. Le plus efficace est de taper dans le champ de recherche le nom et le prénom de votre ancêtre, suivi du mot "naturalisation". Par exemple : Jan Kowalski naturalisation.
  3. Analysez les résultats. La SIV va chercher dans les inventaires. Vous devriez voir apparaître des résultats provenant des fonds BB/34 ou NAT. Le résultat de la recherche vous donnera une description sommaire, la date du décret et, surtout, la cote du dossier (ex: BB/34/12345, dossier n°6789x92 ou 19770123/45).
  4. Notez la cote avec précision. C'est votre sésame. Sans cette cote, impossible de commander le dossier.
  5. Commandez le dossier. La plupart des dossiers ne sont pas numérisés. Il faudra donc :
    • Vous rendre sur place : Allez aux Archives Nationales à Pierrefitte, inscrivez-vous et commandez le dossier avec sa cote pour le consulter en salle de lecture.
    • Faire une demande de reproduction à distance : Si vous ne pouvez pas vous déplacer, le service de reproduction des Archives Nationales peut numériser le dossier pour vous (c'est un service payant).

Quelques astuces :

  • Soyez large sur l'orthographe : Les noms étrangers étaient souvent écorchés par l'administration française. Essayez toutes les variantes possibles (ex: Kowalski, Kowalsky, Kowalski).
  • Recherchez la publication au Journal Officiel : Les décrets de naturalisation étaient publiés. Les bases de données comme Gallica (pour le JO) ou les sites de généalogie peuvent vous aider à trouver la date exacte du décret, ce qui facilite ensuite la recherche du dossier.
  • Si vous ne trouvez rien : L'ancêtre n'a peut-être jamais été naturalisé. Ses enfants, nés en France, sont peut-être devenus français automatiquement à leur majorité (par déclaration). Dans ce cas, il faut chercher les dossiers de déclaration de nationalité dans les archives des tribunaux, conservées aux Archives Départementales (Série U).

Chapitre 4 – Étude de cas : Sur les traces de Manuel Campos

Nous recherchons l'origine de notre arrière-grand-père, Manuel CAMPOS, dont la tradition familiale dit qu'il était espagnol et qu'il est venu travailler comme soudeur en Algérie, décédé peu avant la Première Guerre mondiale. L'état civil français le dit "né vers 1834 en Espagne". C'est tout.

  1. Le réflexe "Naturalisation" : Nous nous connectons à la SIV des Archives Nationales. Nous tentons plusieurs recherches : "Manuel CAMPOS naturalisation", "Manolo CAMPOS naturalisation".
  2. La découverte : La deuxième recherche est la bonne ! Un résultat apparaît : CAMPOS Manuel, né le 19 janvier 1834. Dossier de naturalisation. Décret du 2 février 1885. La cote est NAT 6769x84. La description est tronquée mais la date de naissance correspond parfaitement !
  3. La consultation du dossier : Nous nous rendons à Pierrefitte. Le dossier arrive. C'est l'émotion.
    • Le Saint-Graal : La première pièce est une copie de son Atto di Nascita. Nous apprenons qu'il est né le 19 janvier 1834 à Jaulin, une petite commune de la province de Saragosse, en Espagne. Fils de Jose Campos et de Maria Garcia. Le mur est tombé ! Nous savons maintenant où chercher en Espagne.
    • Le récit de sa vie : Le questionnaire nous apprend qu'il est arrivé en Algérie française en 1879, qu'il a d'abord travaillé à St-Leu (Algérie) avant de monter à Oran en 1882 pour travailler dans la métallurgie. Il liste ses frères et sœurs restés en Espagne, avec leur village de résidence.
    • Le regard des autres : L'enquête de police de 1884 est savoureuse. Le commissaire note : « Le nommé Campos est un ouvrier sobre et travailleur. Il parle convenablement le français avec un fort accent espagnole. Ses voisins le décrivent comme un homme tranquille et bon père de famille. Il n'est connu pour aucune activité politique. »

En une seule consultation, nous avons non seulement trouvé la pièce manquante de notre puzzle généalogique, mais nous avons aussi recueilli un récit de vie d'une richesse inespérée.

Conclusion – Une histoire de choix et d'appartenance

Les dossiers de naturalisation sont une source à part. Ils ne nous parlent pas seulement de filiation, mais d'identité, de migration et d'intégration. Ils nous racontent l'histoire de ces hommes et de ces femmes qui, à un moment de leur vie, ont fait un choix : celui de lier leur destin et celui de leurs descendants à la France.

Chercher et trouver le dossier de son ancêtre immigrant, c'est lui rendre un hommage vibrant. C'est comprendre que notre présence sur cette terre n'est pas seulement le fruit du hasard des naissances, mais aussi le résultat d'un parcours, d'une volonté, parfois d'un déracinement douloureux et d'un espoir immense. C'est une page essentielle de notre roman familial.

Alors, si votre arbre a des racines qui traversent les frontières, n'hésitez pas. Lancez-vous sur la piste de ces dossiers. La récompense est souvent à la hauteur du défi.

Dans notre prochain article pour le #ChallengeAZ, nous reviendrons aux fondamentaux avec la lettre E... comme État Civil, pour une relecture approfondie de la source la plus connue des généalogistes !

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Commentaires

Raymond
il y a 9 jours

Un challenge pédagogique autour de la généalogie, bien mieux que certains livres sur ce thème. J'apprends et j'espère retenir toute cette masse d'informations. Bravo et merci

Emile
il y a 8 jours

Merci infiniment ! Votre compliment sur l'aspect pédagogique me fait vraiment très plaisir (ex prof-doc oblige !). Mon objectif principal est justement de partager cette passion de manière pédagogique et accessible, alors lire votre commentaire est une superbe récompense.

La comparaison est très flatteuse ! J'espère que la suite vous sera tout aussi utile. Merci à vous de suivre ce challenge !"

Veronique De Mortillet
il y a 8 jours

Je confirme le commentaire de Raymond sur l’aspect pédagogique de votre challenge. C’est complet, précis et bien illustré… je ne loupe aucun épisode. Petite anecdote… je suis prof-doc ;).

Emile
il y a 8 jours

Alors bienvenue, chère collègue ! Et bonne lecture 😉

Piveteau
il y a 3 jours

Merci pour votre article. C'est très agréable à lire, à la fois pédagogique et sensible. J'y ai appris plein de choses.