K pour K... comme (K)asse-tête, l'art de démolir les murs en généalogie

Publié le 12 novembre 2025 à 17:00

Bienvenue dans ce onzième volet de notre #ChallengeAZ ! Si vous suivez cette série depuis le début, vous avez peut-être remarqué une certaine appréhension à l'approche de cette lettre. K. En français, peu de sources archivistiques commencent par K. On pourrait tricher, parler des "Kataster" alsaciens ou des "Kontrakten" flamands, mais ce serait manquer une occasion en or. L'occasion de parler du cœur même de notre passion, de ce qui nous fait vibrer autant qu'il nous frustre : le Casse-tête généalogique.

Nous l'avons tous connu. Ce moment où la recherche, fluide et exaltante, s'arrête net. Plus d'acte, plus de piste, plus rien. Un silence assourdissant dans les archives. C'est le fameux "mur de briques", le "chaînon manquant", l'ancêtre qui semble s'être volatilisé de la surface de la Terre. On a beau relire dix fois le même acte, explorer les registres de la même commune pendant vingt ans, rien n'y fait. Le mur est là, solide, moqueur. La tentation est grande de baisser les bras, de laisser cette branche de l'arbre inachevée et de passer à une autre.

Mais un généalogiste est par nature un enquêteur obstiné. Et un mur, aussi haut soit-il, n'est souvent qu'une illusion, une porte qui n'a pas encore trouvé sa clé. Résoudre un casse-tête généalogique est l'une des plus grandes satisfactions de notre pratique. C'est un mélange de logique de détective, de créativité d'artiste et de patience de moine.

Cet article ne vous donnera pas de solution magique. Il se veut être votre boîte à outils, votre guide méthodologique lorsque vous vous retrouverez face à l'inconnu. Nous allons apprendre à disséquer le problème, à revenir aux fondamentaux, à penser "en dehors de la boîte" et à utiliser l'ensemble des connaissances acquises dans les chapitres précédents pour faire parler des archives récalcitrantes. Alors, retroussez vos manches, affûtez vos crayons (et votre souris), et préparons-nous à faire tomber quelques murs.

Chapitre 1 – Anatomie d'un mur de briques : Identifier la nature du blocage

Avant de sortir l'artillerie lourde, il faut poser un diagnostic précis. Tous les blocages ne se ressemblent pas. Identifier la nature du problème est la première étape vers sa résolution. Voici les cas de figure les plus courants :

  • Le Chaînon Manquant : C'est le cas le plus classique. Vous avez le mariage de Jean et Marie en 1850, vous avez la naissance de leur fils Pierre en 1852. Mais impossible de trouver la naissance de Jean ou de Marie. L'acte qui devrait relier les générations est introuvable.
  • L'Homonyme Infernal : Vous cherchez le mariage de votre Pierre Martin. Dans le village, sur une période de dix ans, trois Pierre Martin se sont mariés. Lequel est le bon ? Ils ont tous un père qui s'appelle Jacques et une mère qui se nomme Marie. C'est le cauchemar du généalogiste, qui risque à tout moment de faire une "jonction" erronée et de s'attribuer les mauvais ancêtres.
  • L'Ancêtre Fantôme : Votre ancêtre apparaît comme par magie à son mariage. L'acte le dit "majeur, né à...", mais à ce lieu de naissance, aucune trace de lui. Pas de naissance, pas de famille connue. Il semble sorti de nulle part.
  • Le Disparu : À l'inverse du fantôme, celui-ci a une existence bien documentée... jusqu'à un certain point. Vous le suivez dans les recensements, vous trouvez la naissance de tous ses enfants, et puis, après 1886, plus rien. Pas d'acte de décès dans la commune, ni dans les environs. Il n'est plus au recensement de 1891. Il s'est volatilisé.
  • L'Enfant Trouvé ou Né sous X : C'est le mur le plus haut, le plus difficile à franchir. L'acte de naissance porte la mention "né de parents inconnus" ou "trouvé sur le parvis de l'église". Les origines sont, par définition, une page blanche.
  • Le Nom Écorché : Vous cherchez un "Dhainaut", mais le curé a écrit "De Haynault", l'officier d'état civil "D'Hainault", et l'employé du recensement "Dénaux". Le patronyme est tellement déformé au fil des actes qu'il en devient méconnaissable, vous faisant passer à côté du bon document.

Chacun de ces problèmes appelle une stratégie différente. Mais avant de les déployer, il faut s'assurer que les fondations de votre enquête sont solides.

Chapitre 2 – La boîte à outils de l'enquêteur : Revenir aux fondamentaux

Neuf fois sur dix, un blocage n'est pas dû à l'absence d'un document, mais à une erreur dans la méthode de recherche. Avant de vous lancer dans des hypothèses complexes, appliquez scrupuleusement cette checklist.

  1. Revenir à la source originale C'est la règle d'or. Vous avez trouvé votre information sur un arbre en ligne, une base de données indexée, un relevé associatif ? C'est formidable, mais ce n'est qu'une piste. Vous devez impérativement consulter l'image de l'acte original. Les erreurs de transcription sont la première cause de casse-tête. Un "Jean" lu à la place d'un "Louis", un "1827" lu pour un "1837", un nom de village mal interprété... L'indice pour débloquer votre recherche se trouve peut-être dans une information qui a été mal retranscrite.
  2. Élargir la période de recherche Vous cherchez le mariage de votre couple en 1830, car leur premier enfant est né en 1831 ? C'est logique, mais insuffisant. L'enfant a pu naître avant le mariage. Le mariage a pu être tardif. Les dates de naissance sur les actes de décès ou de mariage sont souvent des estimations ("âgé d'environ 30 ans"). Élargissez systématiquement votre fourchette de recherche à plus ou moins 10 ans par rapport à la date théorique.
  3. Élargir la zone géographique "Mon ancêtre est dit né à Tartempion-les-Bains, mais je ne le trouve pas dans les registres." Nos aïeux bougeaient bien plus que nous l'imaginons. Pour le travail, pour un mariage, pour suivre un membre de la famille... Un "né à Tartempion" peut signifier : né dans un hameau dépendant de la paroisse, né dans le village d'à côté où sa mère était allée aider sa sœur à accoucher, ou simplement une erreur de déclaration. Passez au peigne fin les registres de toutes les communes dans un rayon de 10, puis 20 kilomètres. Aidez-vous d'une carte ancienne (comme la carte de Cassini) pour visualiser les axes de communication de l'époque.
  4. Lire l'acte... en entier et attentivement ! En généalogie, la vitesse est l'ennemie de la découverte. On a tendance à ne relever que les noms, dates et filiations. C'est une erreur. L'indice se cache souvent ailleurs :
  • Les témoins : Sont-ils de la famille ? Quel est leur lien de parenté, leur âge, leur domicile ?
  • Les signatures : Qui signe ? Qui déclare ne "savoir signer" ? Le niveau d'instruction est une information.
  • Les mentions marginales : Sur un acte de naissance, une mention de mariage ou de décès peut vous donner une date et un lieu inespérés.
  • Le domicile des parents : Vivent-ils dans le même village ou l'un d'eux vient-il d'ailleurs ?
  • La présence d'un contrat de mariage : Si l'acte mentionne "contrat de mariage reçu par Maître Dupont, notaire à...", vous tenez une piste formidable.
  1. Tisser une "toile d'araignée" : la magie de la généalogie collatérale Vous êtes bloqué sur votre ancêtre direct ? Laissez-le de côté un instant et intéressez-vous à ses frères et sœurs. Reconstituez la fratrie complète. Puis, suivez chaque frère, chaque sœur. Retrouvez leur mariage, la naissance de leurs enfants, leur décès. Pourquoi ?
  • L'acte de mariage d'un frère peut donner le lieu de décès précis des parents.
  • Les parrains et marraines des neveux et nièces sont souvent des membres de la famille qui peuvent vous mettre sur une piste.
  • Le décès d'un vieil oncle célibataire peut lister tous ses neveux et nièces comme héritiers, vous confirmant ainsi des liens familiaux. Cette méthode, qui consiste à étudier la famille au sens large, est l'une des techniques les plus puissantes pour démolir un mur.

Chapitre 3 – Étude de cas : L’homonyme (hyper)infernal d’Alexandre Delmer

Pour illustrer notre propos, prenons un cas d'école : Je souhaite remonter la branche de notre ancêtre, Marthe Delmer. Sur son acte de naissance, je trouve ses parents : Alexandre Delmer et Pauline Ribbens.

Le casse-tête 

Je retrouve facilement l’acte de mariage de notre ancêtre, Alexandre, Alphonse Delmer, à Thumeries, le 30 novembre 1889. L’acte nous dit : « né à Mons-en-Pévèle le 17 mai 1863, d’Alexandre Delmer et de feue Julie Leroy. »

Comme je le fais d’habitude, j’aime me procurer l’ensemble des actes d’état civil de mes ancêtres. Je retrouve facilement l’acte de naissance d’Alexandre à la date indiquée le jour de son mariage. Devenu mineur à Leforest après son mariage, tous ses enfants y sont nés. Grâce aux tables décennales, je retrouve facilement son acte de décès, survenu le 25 janvier 1921. En le parcourant, je retrouve bien Alexandre, fils d’Alexandre et Julie Leroy, époux de Pauline Ribbens. Mais, un détail ne colle pas. Sur l’acte, il est inscrit : « né le 22 octobre 1865 ».

Je relis les actes en ma possession, les actes de naissance de ses enfants, dont le calcul avec son âge, nous donne une seule année approximative : 1864. Pile au milieu des deux dates que je possède.

S’agit-il d’une erreur dans l’acte de décès ? C’est souvent le cas, ces derniers sont bien souvent approximatifs, basés sur le témoignage des témoins. Oui, mais… Je retrouve l’acte de naissance de ce second Alexandre Delmer, né à Mons-en-Pévèle à ladite date (22 octobre 1865). Il est le fils légitime de… Alexandre et Julie Leroy. Ce sont deux frères !

Il n’y a aucune mention marginale concernant le mariage sur les deux actes de naissance. Impossible de définir quel Alexandre Delmer est l’ancêtre de Marthe. Je suis bloqué. Le mur.

Naissance d'Alexandre Delmer

Application de la méthodologie

  1. Retour à l’acte original

    Je relis attentivement l’acte de mariage d’Alexandre (et Pauline Ribbens). Rien, à part la date de naissance divergente de son acte de décès. Habituellement, les parents d’un homonyme nous permettent d’exclure l’un des deux. Mais ici, les parents sont les mêmes. L’époux a déclaré ne pas savoir signer.

  2. Analyse des actes en ma possession

    L’indice n’est pas sur les actes de naissance, mais sur les actes de décès. J’en possède un (celui de Leforest en 1921), qui confirme que l'Alexandre décédé était bien l’époux de Pauline Ribbens, mère de Marthe. Que dit l’acte de décès du premier Alexandre (né en 1863) ? C’est la clé.

  3. Changement de paradigme

    L’indice n’est pas sur les actes de naissance. Je déplace ma recherche sur les actes de décès.

  4. Enquête

    À l’époque, il était commun de transmettre à un nouveau-né le prénom d’un de ses défunts frères. Deux ans les sépare. Le premier Alexandre (né en 1863) était-il décédé avant 1865 ? Et confondu lors du mariage ?

    Je parcours les décès sur les tables décennales de décès de Mons-en-Pévèle. Rien. Ce n’est pas la bonne piste. J’élargis la période de recherche jusqu’au mariage en 1889. Aucun Alexandre Alphonse n'est décédé à Mons-en-Pévèle. Je continue ma recherche plus loin, mais en élargissant cette fois-ci la zone géographique aux villes avoisinantes.

    Je retrouve l’acte d’un Alexandre Alphonse Delmer, décédé à Moncheaux le 27 décembre 1916. Il est bien le fils d’Alexandre et Julie Leroy, et né le 17 mai 1863. Et… Il est l’époux de Julie Carpentier.

    Pour confirmer, je recherche l’acte de mariage de ce nouveau couple. Et je le trouve à Moncheaux, à la date du 27 août 1892. Ici, je retrouve Alexandre, Alphonse Delmer né en 1863. Puis, en observant les signatures, l’époux a signé : « Delmer Alphonse ».

  5. Reconstitution de l’histoire

    L’époux de Pauline Ribbens (mon ancêtre) n’est pas né en 1863. Il est bien né en 1865, contrairement à l’affirmation de l’acte de Mariage. Sur celui-ci, il est précisé qu’il ne savait pas signer. Il ne savait donc probablement pas lire non plus.

    Lorsqu’Alexandre (né en 1865) a dû justifier de sa naissance auprès de la mairie de Thumeries pour son mariage en 1889, il est allé chercher l’acte à Mons-en-Pévèle. Il ne s’est donc pas aperçu qu’on lui avait donné l’acte de naissance de son frère, et homonyme, Alexandre Alphonse (né en 1863), qui était bien vivant à l'époque. L’erreur s’est ainsi glissée dans la rédaction de l’acte de mariage.

    L'Alexandre Alphonse (né en 1863) n’était donc pas le bon époux. Ce dernier s'est marié en 1892 avec Julie Carpentier, et lui, qui savait signer, nous apprend qu’il utilisait Alphonse comme prénom usuel en signant « Delmer Alphonse ».

     

Ce cas simple illustre un point fondamental : l'information cruciale se trouvait dans un détail (une signature) et non dans l'information principale (la date de naissance), qui était erronée.

Chapitre 4 – Les pistes de la dernière chance

Si, et seulement si, toutes les étapes précédentes ont échoué, il est temps de faire appel à d'autres sources, celles que nous avons déjà explorées dans notre ChallengeAZ.

  • Le Recensement (lettre R) : Cherchez votre famille dans les recensements qui encadrent la date de l'événement manquant. La composition du foyer et les lieux de naissance de chaque membre peuvent être précieux.
  • Les Archives Notariales (lettre M et I) : Même sans mention dans un acte, un contrat de mariage a pu être passé. Un inventaire après décès ou un testament peut nommer des héritiers et des origines inattendus.
  • Les Fiches Matricules (lettre F) : Pour un homme né après 1847 environ, sa fiche matricule est une véritable biographie qui contient son lieu de naissance exact.
  • Les Archives Judiciaires (lettre J) : Un procès pour un héritage peut contenir des arbres généalogiques entiers produits comme preuves.
  • L'Entraide : Ne restez pas seul. Postez votre problème sur un forum de généalogie, sur des groupes dédiés sur Facebook ou dans un cercle généalogique local. Un regard neuf et expérimenté verra souvent l'indice que vous avez manqué après des heures de recherche infructueuse.

Conclusion – Le mur n'est qu'un défi

Un casse-tête généalogique n'est pas une fin en soi. C'est une invitation à devenir un meilleur chercheur. Il nous force à être plus rigoureux, plus imaginatifs, plus persévérants. Il nous oblige à mieux connaître l'histoire et la géographie de la région de nos ancêtres, à comprendre leur mode de vie, leurs migrations.

Chaque mur que vous démolirez renforcera vos compétences et votre confiance. La solution est presque toujours dans les archives, cachée à la vue de tous, attendant simplement que vous posiez la bonne question ou que vous regardiez au bon endroit. Alors, la prochaine fois que vous ferez face à un mur, ne voyez pas un obstacle, mais un défi. L'histoire de votre famille en vaut la peine.

Dans notre prochain article pour le #ChallengeAZ, nous reviendrons à une source plus classique mais terriblement efficace pour pister un ancêtre au XIXe et XXe siècle, avec la lettre L... comme Listes Électorales !

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