Bienvenue dans ce quatorzième volet de notre exploration des sources généalogiques ! Dans notre précédent article, nous avons poussé la porte de l'étude pour nous plonger dans les "Minutes notariales", ces actes qui forment le scénario de la vie de nos ancêtres. Nous avons vu la richesse de ces documents. Mais une question cruciale demeure : comment retrouver de manière systématique tous les actes concernant une famille, parfois sur plus d'un siècle ? La réponse ne se trouve pas seulement dans les actes eux-mêmes, mais dans la biographie de celui qui les a rédigés : le Notaire.
S'intéresser au notaire peut sembler être un détour, une distraction de notre objectif principal qui est de retrouver nos aïeux. C'est tout le contraire. C'est la stratégie la plus efficace pour une recherche notariale exhaustive. Nos ancêtres, par habitude, par confiance et par commodité, étaient souvent fidèles à une même étude notariale. Le père allait chez Maître Dupont, son fils continuait avec Maître Dupont, et son petit-fils signait ses actes chez le successeur de Maître Dupont, Maître Durand, qui avait repris la même étude, dans les mêmes locaux.
Le trésor que nous cherchons, le "minutier", n'est pas attaché à un homme, mais à une charge, à une "étude". Ces études notariales ont une continuité qui dépasse la durée de vie d'un seul praticien. Comprendre qui étaient ces notaires, comment ils se succédaient et où leurs archives ont été conservées est donc le fil d'Ariane qui nous permettra de remonter le temps, bien au-delà de l'indice ponctuel que nous aurions pu trouver dans un acte de mariage.
Ce chapitre est donc une enquête sur l'enquêteur. Nous allons apprendre à pister le notaire lui-même, à reconstituer la chaîne de ses prédécesseurs et successeurs pour mettre la main, non pas sur un acte, mais sur des décennies d'archives familiales. C'est la différence entre trouver une pièce d'or et trouver la carte qui mène au trésor.
Chapitre 1 – Portrait de l'officier public : Qui était le Notaire ?
Avant d'être un nom sur un document, le notaire était une figure centrale de la communauté, un notable respecté et parfois craint.
- Un Notable Instruit : Dans une société largement analphabète, le notaire est l'un des rares à maîtriser parfaitement l'écrit, le droit et le calcul. Il est le "sachant". Sa formation, longtemps acquise sur le tas en tant que clerc, se structure progressivement pour devenir une profession juridique à part entière.
- Une "charge" à acquérir : Le notaire n'est pas un simple fonctionnaire. Il est titulaire d'une "charge", un office qu'il achète, souvent très cher. Cette charge fait partie de son patrimoine. Il peut la revendre de son vivant à un successeur, ou elle est transmise à ses héritiers (souvent un fils ou un gendre qui a été formé pour cela) à son décès. Cette notion de "charge" est fondamentale, car elle assure la stabilité et la continuité des études.
- Le confident des familles : Son rôle dépasse la simple rédaction d'actes. Il est le conseiller patrimonial avant l'heure. On vient le voir pour arranger un mariage, préparer sa succession, investir ses économies ou régler un conflit à l'amiable. Il connaît la situation financière, les alliances et les secrets de toutes les familles importantes du canton. Cette position lui confère un pouvoir et une influence considérables.
Comprendre ce statut nous aide à mieux interpréter les archives. La fidélité d'une famille à une étude n'est pas anodine, elle est le signe d'une relation de confiance bâtie sur plusieurs générations.
Chapitre 2 – La vie d'une Étude : Le principe de succession
C'est le concept le plus important pour le généalogiste. Une étude notariale a une existence quasi perpétuelle. Quand un notaire cesse son activité (retraite, décès, vente de sa charge), un autre prend sa place et, surtout, il hérite de toutes les minutes de ses prédécesseurs.
Imaginez une étude dans un bourg de province :
- Maître Le Grand y officie de 1720 à 1755.
- À sa mort, son principal clerc et gendre, Maître Petit, rachète la charge et exerce de 1755 à 1790.
- Maître Petit vend son étude à Maître Dubois, qui pratique de 1790 à 1820.
Le généalogiste qui cherche un acte de la famille Martin en 1740 doit chercher dans les archives de Maître Le Grand. S'il en cherche un de 1770, il doit consulter celles de Maître Petit. Mais lorsqu'en 1905, l'ensemble des archives de cette étude sera versé aux Archives Départementales, elles seront probablement classées sous le nom du dernier notaire ou sous un numéro d'étude unique. L'ensemble des minutes (Le Grand, Petit, Dubois...) formera un seul et même fonds.
Votre mission n'est donc pas de trouver un notaire, mais de reconstituer la liste des notaires qui se sont succédé dans l'étude qui intéressait votre famille.
Chapitre 3 – La boîte à outils du « pisteur » de Notaires
Heureusement, nous ne sommes pas les premiers à nous intéresser à ces hommes. Les archivistes et les historiens ont créé des outils formidables pour nous aider.
- Les Instruments de Recherche des Archives Départementales
C'est votre point de départ. Sur le site internet des AD de votre département, cherchez la section dédiée aux "Archives Notariales" (souvent en Série E ou 3E). Vous y trouverez des "instruments de recherche" (des inventaires) au format PDF. Ces documents sont des mines d'or. Ils contiennent souvent :
- Une introduction historique sur le notariat dans le département.
- La liste des études par ville ou canton.
- Pour chaque étude, la liste chronologique des notaires qui s'y sont succédé, avec leurs dates d'exercice.
C'est l'outil le plus puissant. En quelques clics, vous pouvez reconstituer l'historique d'une étude sur deux ou trois siècles.
- Les Almanachs Royaux, Impériaux et Nationaux
Pour les XVIIIe et XIXe siècles, ces annuaires administratifs sont une source fabuleuse. Chaque année, ils listaient tous les officiers publics du royaume (ou de l'Empire, ou de la République). Dans la section "Chancellerie", on trouve la liste des notaires, classés par ville.
- Comment les utiliser ? Ces almanachs sont presque tous numérisés sur Gallica (lettre G). Si vous connaissez la ville de votre notaire, vous pouvez le suivre année après année. Si vous voyez qu'en 1830, le notaire de la ville est M. Dupont, et qu'en 1831, c'est M. Durand, vous avez trouvé la date exacte de la succession !
- Les Annuaires Départementaux
Similaires aux almanachs nationaux, mais à l'échelle locale, de nombreux départements publiaient leurs propres annuaires administratifs, également consultables sur Gallica ou les portails des AD. - Les Sites Spécialisés et les Bases de Données
- La Salle des Inventaires Virtuelle (SIV) des Archives de France : Permet de rechercher des inventaires dans de nombreux services d'archives.
- Geneanet : La section "Registres et Relevés" contient de plus en plus de répertoires de notaires dépouillés par des associations.
- Les associations généalogiques locales : Elles ont souvent réalisé un travail de fourmi pour lister les notaires de leur région. Leurs publications ou leurs bases de données sont précieuses.
Chapitre 4 – Étude de cas : Sur la piste de l'Étude de Carvin (Pas-de-Calais)
Prenons un exemple concret.
- L'indice de départ : Dans un acte de mariage de 1845 à Carvin, nous lisons : "Contrat de mariage reçu ce jour par Maître Célestin REUFLET, notaire à Carvin". Nous voulons maintenant trouver le contrat de mariage de ses parents, vers 1820.
- Le réflexe : Aller sur le site des Archives Départementales du Pas-de-Calais.
- L'enquête :
- Nous allons dans la rubrique "Fonds et collections".
- Cherchez (sur la gauche) "Archives notariales".
- Chercher (en bas de la page) la rubrique "Accès aux instruments de recherches".
- Nous arrivons sur la liste alphabétique des Études notariales, ville par ville. Nous y recherchons l'Étude de Carvin.
- Nous trouvons trois documents intitulé "Répertoire numérique de la sous-série 4 E 57 à 59. C'est exactement ce qu'il nous faut. Nous allons devoir retrouver notre notaire, Célestin Reuflet, dans l'une d'elles.
- En ouvrant l'Étude n°58, le document liste chaque étude et les notaires qui s'y sont succédé. Pour l'étude qui nous intéresse, nous trouvons la lignée suivante :
- Étude n°58 :
- Henri-François Haccart (1783-1813),
- Charles-Louis-Joseph Baggio (1813-1833),
- Célestin-Aimable-François-Joseph Reuflet (1833-1856)
- ... et ainsi de suite.
- Étude n°58 :
- La solution : C'est limpide. Notre Maître Reuflet a pris ses fonctions en 1833. Pour trouver un acte de 1810, ce n'est pas lui qu'il faut chercher. C'est son prédécesseur direct : Maître Charles-Louis-Joseph BAGGIO. Nous savons maintenant que nous devons consulter les répertoires de ce notaire entre 1813 et 1833, et ceux de son prédécesseur, Maître HACCART, pour la période antérieure. Le chemin vers les archives est balisé.
Conclusion – De l'homme à la collection
S'intéresser au notaire, ce n'est pas s'éloigner de sa généalogie, c'est au contraire s'en approcher avec une stratégie plus efficace. En passant de la recherche d'un acte isolé à la reconstitution de l'histoire d'une étude, vous changez d'échelle. Vous ne cherchez plus une aiguille dans une botte de foin ; vous avez trouvé le plan de la ferme et savez exactement dans quelle botte de foin chercher.
Cette enquête sur l'homme de loi vous ouvre les portes de sa collection d'archives, le minutier, qui est l'un des plus grands trésors documentaires pour qui veut redonner vie à ses ancêtres.
Dans notre prochain article pour le #ChallengeAZ, nous aborderons une source spécifique à l'histoire tourmentée de la France, une source née d'une guerre et d'un choix déchirant, avec la lettre O... comme Options des Alsaciens-Lorrains.
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