Bienvenue dans ce quinzième chapitre de notre périple alphabétique au cœur des archives. Nous quittons aujourd'hui les sources universelles que l'on retrouve dans toute la France pour nous concentrer sur une archive unique, poignante, qui ne concerne que les familles originaires d'Alsace et d'une partie de la Lorraine. Une source née de la guerre de 1870 et de l'annexion de ces territoires par l'Empire allemand : les déclarations d'Options des Alsaciens-Lorrains pour la nationalité française.
Ces documents ne sont pas de simples fiches administratives. Ils sont le témoignage écrit d'un des plus grands drames de l'histoire de France contemporaine. Entre 1871 et 1872, plus d'un million et demi de Français se sont réveillés un matin en territoire allemand. Face à cette nouvelle réalité, le traité de paix leur a offert un choix, un "droit d'option" : accepter la nationalité allemande et rester sur la terre de leurs ancêtres, ou déclarer leur volonté de rester Français, à la condition déchirante de quitter leur maison, leurs champs et leurs racines avant le 1er octobre 1872.
Pour le généalogiste, ces listes d'optants sont bien plus qu'une source. Elles sont une fenêtre ouverte sur la conscience de nos aïeux. Retrouver le nom d'un ancêtre sur ces registres, c'est découvrir un acte de patriotisme intime, une décision qui a bouleversé le destin de familles entières. C'est comprendre pourquoi une branche de votre arbre a soudainement quitté son village natal pour s'implanter en "France de l'intérieur", en Algérie ou même en Amérique. C'est mettre des mots sur une rupture, une migration, un exil.
Dans ce guide, nous allons remonter le temps jusqu'au traumatisme de l'Annexion. Nous apprendrons à déchiffrer ces déclarations d'option, à comprendre les destins variés de ceux qui ont opté, et surtout, nous verrons où et comment retrouver ces documents qui sont la mémoire de ce choix cornélien.
Chapitre 1 – Le Traité de Francfort : Un choix impossible
Pour comprendre cette source, il faut revenir au contexte de sa création.
- La Guerre de 1870-1871 : La défaite écrasante de la France face à la Prusse et ses alliés allemands se conclut par la chute du Second Empire et la proclamation de l'Empire allemand dans la Galerie des Glaces de Versailles, humiliation suprême.
- Le Traité de Francfort (10 mai 1871) : C'est le traité de paix qui met fin à la guerre. Ses conditions sont draconiennes : une lourde indemnité de guerre et, surtout, l'annexion par l'Allemagne de l'Alsace (sauf l'arrondissement de Belfort) et d'une partie de la Lorraine, correspondant à l'actuel département de la Moselle. Ces territoires deviennent le "Reichsland Elsaß-Lothringen".
- L'Article 2 et le Droit d'Option : L'article 2 de ce traité est celui qui nous intéresse. Il stipule que les "sujets français, originaires des territoires cédés" et qui y sont domiciliés, peuvent conserver la nationalité française à une double condition :
- Faire une déclaration officielle auprès de l'autorité locale.
- Transférer leur domicile en France (ou à l'étranger).
- La date butoir pour cette option est fixée au 1er octobre 1872. Passé ce délai, ceux qui n'auront pas opté et quitté le territoire seront considérés comme Allemands.
Le piège est là. Il ne suffisait pas de signer un papier pour rester Français ; il fallait s'exiler. Pour un paysan attaché à sa terre, un artisan propriétaire de son atelier, c'était une décision d'une violence inouïe.
Chapitre 2 – Anatomie d'une déclaration d'Option
La déclaration d'option est un formulaire standardisé, mais les informations qu'elle contient sont d'une richesse exceptionnelle pour reconstituer les familles.
Que trouve-t-on sur ce document ?
- L'Identité du Déclarant : Le nom, les prénoms, la profession, le lieu et la date de naissance de celui qui fait la déclaration. C'est généralement le chef de famille.
- Le Domicile : La commune où il réside au moment de la déclaration.
- La Mention de l'Option : Une phrase type comme "déclare opter pour la nationalité française".
- Le Plus Important : la Famille : Le chef de famille optait pour lui, mais aussi pour sa femme et ses enfants mineurs. La déclaration liste donc :
- Le nom et le prénom de son épouse, avec sa date et son lieu de naissance.
- La liste de tous les enfants mineurs (moins de 21 ans), avec leurs prénoms, dates et lieux de naissance.
- C'est un véritable recensement familial ! Pour un généalogiste, trouver un tel document peut permettre de valider d'un seul coup toute la composition d'une fratrie, avec des dates et des lieux précis.
- Le Lieu d'Émigration Prévu : Le déclarant devait indiquer où il comptait "transférer son domicile". C'est un indice précieux, même s'il n'a pas toujours été respecté.
- La Date et la Signature.
Il existait deux types de déclarations :
- En Mairie (en Alsace-Lorraine) : Pour ceux qui étaient encore sur place.
- En France ou à l'Étranger : Pour les Alsaciens-Lorrains qui résidaient déjà hors du territoire annexé et qui voulaient confirmer leur statut de Français.
Chapitre 3 – Optants, émigrants, "optants sur place" : Des destins différents
Environ 160 000 déclarations d'option ont été souscrites, concernant plus de 500 000 personnes (chefs de famille, femmes et enfants). Mais derrière le mot "optant" se cachent des réalités très diverses.
- Les "Vrais" Optants : Ceux qui sont Partis Environ 50 000 personnes ont fait le sacrifice ultime. Ils ont opté ET quitté leur terre natale avant le 1er octobre 1872. Ils se sont réinstallés en "France de l'intérieur" (notamment à Nancy, Belfort, Paris), en Algérie (où on leur promettait des terres) ou ont émigré plus loin.
- Pour le généalogiste : Si vous trouvez un ancêtre optant et qu'il disparaît des registres de son village après 1872, c'est cette piste qu'il faut suivre. Le lieu d'émigration indiqué sur la déclaration est le premier indice pour le retrouver dans les recensements français de 1872 ou 1876.
- Les "Malgré-Nous" du Droit : les Optants qui sont Restés C'est le cas le plus fréquent et le plus tragique. Plus de 100 000 déclarations ont été faites par des personnes qui, au final, n'ont pas pu ou pas voulu partir. Ils ont signé pour la France, mais sont restés attachés à leur maison.
- Leur statut : Pour les autorités allemandes, leur déclaration était nulle et non avenue car la condition de l'émigration n'était pas remplie. Ils sont donc devenus Allemands, comme tous ceux qui n'avaient pas opté. Leur option est restée un acte symbolique, un geste de "protestation intime".
- Pour le généalogiste : Vous retrouverez ces ancêtres dans les recensements et registres d'état civil de leur village après 1872, mais sous administration allemande. Leur déclaration d'option reste une information généalogique essentielle qui éclaire leur attachement à la France.
- Ceux qui n'ont pas opté La grande majorité de la population (plus d'un million de personnes) n'a fait aucune déclaration et est devenue allemande de fait. Les raisons sont multiples : attachement viscéral à la terre, impossibilité économique de partir, conviction que l'annexion ne serait que temporaire, ou acceptation de la nouvelle situation.
Chapitre 4 – La chasse aux optants : Où et comment chercher ?
Heureusement, cette source a été centralisée et est aujourd'hui très accessible.
- La Source Principale : Le Bulletin des Lois L'État français a publié la liste de toutes les personnes ayant opté dans 38 volumes du Bulletin des lois de la République française entre 1872 et 1873. C'est la source de référence. Ces listes sont généralement classées par arrondissement puis par canton d'origine.
- Où le consulter ? L'intégralité de ces bulletins est numérisée et disponible sur Gallica (lettre G). La recherche peut être fastidieuse, mais elle est exhaustive. Mais comme je suis quelqu'un de gentil : je vous glisse le premier numéro ci-dessous !
- Les Outils Numériques : La Voie Royale Grâce au travail des archivistes et des bénévoles, la consultation est aujourd'hui bien plus simple.
- Les Archives départementales du Haut-Rhin : C'est LE portail incontournable. Les AD 68 ont créé une base de données nominative et interrogeable en ligne qui recense toutes les options pour l'Alsace (Bas-Rhin et Haut-Rhin). C'est d'une simplicité et d'une efficacité redoutables.
- Les Archives départementales de la Moselle : Elles proposent également des listes et des inventaires en ligne pour retrouver les optants de la Lorraine annexée.
- Geneanet et les associations : De nombreux relevés et indexations de ces listes sont disponibles sur Geneanet et d'autres plateformes généalogiques, souvent issus du travail de cercles locaux.
- Les Originaux : Les Archives Nationales Pour les chercheurs qui veulent voir le document original, les déclarations sont conservées aux Archives Nationales à Pierrefitte-sur-Seine, dans la sous-série BB31.
Conclusion – Un acte d'identité
Les registres d'option ne sont pas une source comme les autres. Ils ne documentent pas une naissance ou un mariage, mais un acte de conscience. Ils sont le reflet d'une France amputée et d'un peuple sommé de choisir son identité.
Pour un descendant d'Alsacien ou de Lorrain, retrouver la trace d'un ancêtre dans ces listes est un moment d'une rare intensité. C'est la découverte d'un choix qui a peut-être déterminé la raison pour laquelle vous êtes né de ce côté-ci ou de l'autre de la frontière des Vosges. C'est la preuve que, bien avant les grandes guerres du XXe siècle, vos aïeux ont été confrontés à la question fondamentale : "Qui suis-je, et à quelle nation est-ce que je souhaite appartenir ?".
En savoir plus ?
Cet article a été rédigé en s'appuyant principalement sur les travaux de :
Wahl, A. (s.d.). L'option et l'émigration des Alsaciens-Lorrains (1871-1872) (30 p.). Éditions Ophrys.
Je tiens à souligner que cette source originale est considérablement plus complète et détaillée que le présent résumé. Les chercheurs souhaitant approfondir le sujet et découvrir l'intégralité des travaux sont fortement encouragés à la consulter directement.
Dans notre prochain article pour le #ChallengeAZ, nous quitterons les archives officielles pour nous tourner vers une source plus intime, plus visuelle, mais tout aussi riche en informations et en émotions, avec la lettre P... comme Photographies de famille.
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