90 ans d'histoire(s) dans le grand bain de Leforest

Publié le 18 septembre 2025 à 20:20

Septembre 2025. Le silence est presque assourdissant, solennel. Il n'est rompu que par le doux clapotis de l'eau, un murmure discret qui semble raconter une histoire vieille de près d'un siècle. Une odeur caractéristique, mélange de chlore neuf et de peinture fraîche, flotte dans l'air, promesse d'une renaissance imminente. À travers les larges baies vitrées, la lumière de la fin de l'été plonge dans le grand bassin, dessinant des arabesques mouvantes sur le carrelage immaculé et faisant scintiller une eau si claire qu'elle en paraît irréelle. Tout est prêt. Dans quelques jours, après une décennie d'attente, de doutes et d'efforts acharnés, les rires des enfants, les cris de joie et les encouragements des entraîneurs viendront de nouveau emplir cet espace. Pour l'heure, la piscine de Leforest retient son souffle, tel un nageur sur son plot de départ.

Mais cette chronique n'est pas seulement le récit d'une rénovation, aussi spectaculaire soit-elle. C'est le portrait d'un personnage central, presque un membre de la famille pour des générations de Leforestois. Car cette piscine n'est pas un simple bâtiment ; elle est une âme, un cœur battant au rythme de la ville. Elle est ce lieu où des milliers d'enfants ont vaincu leur peur de l'eau, où des amitiés se sont nouées au fil des longueurs, où le corps ouvrier venait se délasser après le labeur de la mine ou de l'usine. Elle est un monument vivant, un témoin de l'Histoire avec un grand H, dont les murs Art déco ont vu défiler les espoirs du Front Populaire, l'épreuve de l'Occupation, l'insouciance des Trente Glorieuses, les doutes des crises et, enfin, la résilience d'une communauté refusant de la voir disparaître.

Pour comprendre la portée de ce lieu, il faut remonter le temps. Nous sommes en 1936. Alors que la France s'engage dans une politique sociale sans précédent, la municipalité de Leforest, portée par une vision progressiste et humaniste, offre à ses habitants un joyau d'avant-garde : la toute première piscine couverte et chauffée du Pas-de-Calais. Une révolution. À une époque où l'hygiène et les loisirs sont encore un luxe, Leforest fait le pari de la santé, du sport et du bonheur pour tous. L'inauguration, en présence de Léo Lagrange, sous-secrétaire d’État aux Sports et aux Loisirs, n'est pas un événement local ; c'est un acte politique et social d'envergure nationale. C'est le début d'une odyssée faite de triomphes et d'épreuves, d'innovations et de métamorphoses. Une histoire d'eau, de béton, mais surtout, une histoire d'hommes et de femmes. C'est cette histoire que je vais essayer de vous raconter.

Partie I : La genèse et l'âge d'or (1935 – 1972)

Chapitre 1 : Une idée révolutionnaire

Au milieu des années 1930, la France est un pays de contrastes saisissants. Tandis que l'ombre de la crise économique plane et que les tensions politiques s'exacerbent, un vent d'espoir et de progrès social se lève. L'arrivée au pouvoir du Front Populaire en mai 1936 n'est pas une simple alternance politique ; c'est le symbole d'une aspiration profonde à une société plus juste. Dans ce bouillonnement, des idées nouvelles germent et s'épanouissent. Le loisir, la culture, le sport ne sont plus considérés comme l'apanage d'une élite, mais comme des droits fondamentaux pour tous, et en particulier pour une classe ouvrière éprouvée par des décennies de labeur industriel. C'est l'avènement de ce que l'on appellera plus tard la "civilisation des loisirs", portée par un puissant courant hygiéniste qui prône les bienfaits de l'activité physique, de la propreté et du grand air pour l'amélioration de la santé publique et du bien-être général.

C'est dans ce terreau fertile que prend racine le projet de la piscine de Leforest. Au cœur du bassin minier, où la poussière de charbon imprègne les poumons et les façades, l'idée d'un lieu dédié à l'eau et à la joie, résonne avec une force particulière. La municipalité, conduite par son maire visionnaire, Léger Courmont, saisit l'esprit de son temps. La décision, entérinée lors de la séance du conseil municipal du 1er octobre 1935, est bien plus qu'une simple ligne budgétaire. C'est un acte de foi en l'avenir, un pari audacieux sur le progrès social. Construire une piscine, et qui plus est une piscine couverte et chauffée – une rareté absolue pour l'époque –, c'est affirmer avec force que les enfants de mineurs et d'ouvriers méritent ce qui se fait de mieux pour leur santé et leur épanouissement.

Le projet est confié à l'architecte M. Benoit, qui imagine un bâtiment à la fois fonctionnel et élégant, dont la façade de style Art déco, avec ses lignes pures et géométriques, inscrira durablement le bâtiment dans la modernité de son temps. L'investissement est considérable : le devis initial s'élève à 400 000 francs, une somme colossale pour une commune comme Leforest. Pour mener à bien ce chantier d'envergure, le marché est divisé en trois lots distincts, comme en témoigne l'avis d'adjudication paru dans La Journée industrielle du 13 mars 1936. Le premier lot, estimé à 97 000 francs, concerne le gros œuvre, les fondations, le squelette de l'édifice. Le deuxième lot, d'un montant identique, englobe la charpente métallique, la vitrerie, la couverture et la zinguerie. Mais le véritable cœur de l'innovation, l'élément qui fait de ce projet une œuvre pionnière, réside dans le troisième lot : l'installation du chauffage. Représentant à lui seul un budget de plus de 200 000 francs, ce lot était la clé de voûte du projet, ce qui allait permettre à la piscine de s'affranchir du cycle des saisons, d'offrir une eau à température constante et d'accueillir nageurs et écoliers en plein cœur de l'hiver. Une révolution est en marche.

Croquis de la Piscine Municipale en 1936

Chapitre 2 : L'inauguration, un événement National

Le dimanche 25 octobre 1936 reste gravé dans la mémoire de Leforest comme un jour de fierté et de fête populaire. Dès le matin, une effervescence joyeuse s'empare de la petite commune. On se presse pour apercevoir les personnalités venues de Paris, signe que l'événement dépasse de loin les frontières du canton. La présence de Léo Lagrange, le jeune et charismatique sous-secrétaire d’État aux Sports et aux Loisirs, symbole de la nouvelle politique du Front Populaire, et celle de Raoul Evrard, chef de cabinet à la présidence du Conseil, confèrent à cette inauguration une portée nationale. Ce n'est pas seulement une piscine que l'on célèbre, c'est la concrétisation d'un idéal et l'inauguration, historique pour toute la région, de la toute première piscine couverte et chauffée du Pas-de-Calais.

Les discours prononcés ce jour-là, rapportés par les chroniques de La République ou de L'Écho du Nord, sont empreints de la ferveur de l'époque. On y parle d'émancipation sociale, de lutte contre les taudis et la maladie par la pratique sportive. La piscine est présentée comme un outil de santé publique, un lieu pour "offrir à la jeunesse la joie et la santé", pour fortifier les corps et les esprits. Pour Léo Lagrange, un tel équipement est l'antidote au "loisir passif", une invitation à une vie plus saine et plus active. En coupant le ruban tricolore, les officiels ne font pas qu'ouvrir un bassin ; ils ouvrent un nouveau chapitre de l'histoire locale, un chapitre où le bien-être des habitants est érigé en priorité politique.

L'impact de cet événement est immédiat. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre dans toute la région. Leforest, petite ville minière, devient soudain un modèle, un exemple à suivre. Lors du congrès régional de natation qui se tient à Douai en décembre de la même année, la piscine de Leforest est sur toutes les lèvres. Elle est citée, admirée, enviée. Elle a prouvé que l'audace pouvait payer et qu'il était possible, même avec des moyens modestes, de réaliser de grandes choses pour le bien commun. La fierté des Leforestois est immense : leur piscine n'est pas seulement un équipement sportif, c'est le symbole éclatant de leur modernité.

L'intérieur de la piscine peu de temps après son inauguration

Chapitre 3 : Les premières longueurs (1937 - 1972)

Dès que les échos de la fête se sont tus, la piscine s'est mise à vivre de sa propre vie. En 1937, un an à peine après son ouverture, elle se dote d'une âme sportive avec la création du club nautique par un passionné, Gustave Delache. Le bassin n'est plus seulement un lieu d'apprentissage, il devient une arène où s'organisent des galas de natation, des compétitions et des matchs de water-polo qui attirent les foules. Une véritable communauté de nageurs se forme, tissant des liens sociaux forts autour d'une passion commune pour l'eau.

Dès que les échos de la fête se sont tus, la piscine s'est mise à vivre de sa propre vie. En 1937, un an à peine après son ouverture, elle se dote d'une âme sportive avec la création du club nautique par un passionné, Gustave Delache. Le bassin n'est plus seulement un lieu d'apprentissage, il devient une arène où s'organisent des galas de natation, des compétitions et des matchs de water-polo qui attirent les foules. Une véritable communauté de nageurs se forme, tissant des liens sociaux forts autour d'une passion commune pour l'eau.

Cette période d'insouciance et de progrès est brutalement interrompue par la Seconde Guerre mondiale. L'atmosphère joyeuse laisse place au silence et à l'inquiétude. Le bâtiment, équipement stratégique, est réquisitionné. Les uniformes des soldats britanniques, puis ceux de l'armée allemande d'occupation, remplacent les maillots de bain. Les rires des enfants se sont tus. C'est une parenthèse sombre dans son histoire, un détournement de sa vocation première qui marque une profonde cicatrice.

Il faut attendre la Libération pour que la piscine retrouve sa véritable mission. Dans l'élan de la reconstruction et l'optimisme des Trente Glorieuses, elle connaît son véritable âge d'or. Elle devient le lieu d'apprentissage de la natation pour des générations entières d'écoliers de Leforest et des communes environnantes. Sous la houlette de maîtres-nageurs dévoués et emblématiques, des milliers d'enfants ont barboté dans le petit bain, vaincu leur appréhension et nagé leurs premières brasses dans le grand. Dans la mémoire collective, le souvenir de ces premiers écoliers reste intact : le fameux harnais suspendu pour éviter de couler, manœuvré par la perche du maître-nageur Marcel Devred pour accompagner les premières brasses hésitantes. Mais à chaque époque sa méthode ! (Les enfants des années 90, eux, ont certainement un tout autre souvenir !) On se rappelle aussi de Jacky Decloquement, plus tard, qui se jetait dans le bassin attaché et arrivait toujours à s'en sortir pour revenir à la surface. Pour tous ceux qui ont grandi dans la région entre 1940 et 1970, la piscine de Leforest est ce souvenir d'enfance indélébile, un lieu associé pour toujours à la découverte, à la fierté et aux joies simples de l'eau.

Années 50 – Les enfants jouent dans les bassins

Exhibition sportive de Jacky Decloquement

Partie II : Les années de transformations et d'usure (1972 - 2015)

Chapitre 4 : La première grande métamorphose (1972 - 1984)

Au début des années 1970, l'insouciance des Trente Glorieuses commence à se fissurer, et avec elle, les murs de la piscine. Après plus de trente-cinq ans de service loyal, le joyau de 1936 montre ses premiers signes de fatigue. Le cœur battant de l'installation, cette fameuse chaudière à charbon qui avait été sa fierté et sa révolution, est à bout de souffle. Vestige d'un autre âge, elle ne répond plus aux besoins ni aux normes d'une époque qui entre dans le premier choc pétrolier. En 1972, la décision tombe, inévitable et douloureuse : la piscine doit fermer ses portes. Le silence retombe brutalement sur le grand bassin. Pour la première fois depuis l'Occupation, les rires se sont tus.

Cette fermeture, initialement prévue pour des travaux, va s'éterniser. Quatre longues années durant lesquelles Leforest se retrouve orpheline de sa piscine. Pour le club de natation, c'est le début d'un exil forcé, une période difficile où la flamme de la passion doit être entretenue loin de son foyer. Il faut attendre 1976 pour que la piscine renaisse de ses cendres, dotée d'un système de chauffage moderne qui la fait entrer de plain-pied dans une nouvelle ère. Mais ce n'est qu'un début. Le bâtiment a besoin de plus. En 1984, un nouveau chantier d'envergure est lancé. La toiture et l'éclairage sont entièrement refaits, de nouvelles cabines plus fonctionnelles sont installées et des travaux sont menés dans le petit bassin. La piscine s'ouvre désormais tout l'hiver, et fidèle à son esprit pionnier, Leforest innove encore en lançant des cours de natation pour les élèves de maternelle, une initiative rare à l'époque.

Chapitre 5 : Moderniser sans trahir (1995 - 2001)

Le temps continue sa course. À l'aube de l'an 2000, la piscine approche de son soixantième anniversaire. Les rénovations passées ont permis de la maintenir à flot, mais un constat plus alarmant s'impose. Les bassins se fissurent, et surtout, le système de recyclage de l'eau n'est plus conforme aux normes sanitaires de plus en plus strictes. Une simple réparation ne suffit plus ; il faut une refonte complète. La décision est prise de fermer à nouveau l'établissement entre 2000 et 2001 pour la plus grande rénovation de son histoire.

Le projet est ambitieux : il ne s'agit pas seulement de réparer, mais de réinventer la piscine pour le XXIe siècle. Le changement le plus visible est la construction d'une extension sur le flanc du bâtiment, du côté de la salle de sport, pour y loger des vestiaires et des sanitaires modernes et spacieux. À l'intérieur, la métamorphose est spectaculaire. Le petit bassin d'origine est remplacé par un nouvel espace ludique aux formes plus arrondies, équipé de jeux d'eau pour les plus petits. Le grand bassin est entièrement réfectionné. De nouveaux équipements technologiques sont installés pour garantir une qualité d'eau irréprochable et optimiser la consommation d'énergie. Le défi est de taille : moderniser l'ensemble sans dénaturer l'âme du lieu, préserver l'esprit Art déco tout en offrant un équipement de pointe. Le résultat est une réussite, et le 19 mars 2001, c'est une piscine rajeunie, plus belle et plus fonctionnelle, qui est rendue aux Leforestois.

Chapitre 6 : Une vie de bassin au tournant du siècle

Cette seconde jeunesse est un triomphe. Durant les années 2000 et jusqu'au début des années 2010, la piscine connaît une affluence record, frôlant les 60 000 entrées annuelles. Elle redevient le point de ralliement des scolaires de Leforest, mais aussi des communes voisines de la Pévèle. Les clubs, comme Leforest Natation ou la section de natation synchronisée, y trouvent un outil de travail exceptionnel. Le public familial plébiscite le nouveau bassin ludique. La vie a repris ses droits, plus intense et vibrante que jamais.

Pourtant, sous le vernis de la modernité, l'ancienne structure de 1936 continue de vieillir. En 2005, une rupture de canalisation, bien que vite réparée, vient le rappeler. C'est un incident mineur, un simple contretemps, mais avec le recul, il sonne comme un avertissement. C'est le premier craquement, le signe avant-coureur que le colosse d'acier et de béton, malgré ses liftings successifs, porte en lui les fragilités de son grand âge. Personne ne l'imagine encore, mais un mal plus profond et invisible ronge le cœur de l'édifice. La plus grande épreuve de son histoire se prépare en silence.

Partie III : L'épreuve du feu et la renaissance (2015 - 2025)

Chapitre 7 : Le choc de l'été 2015

L'été 2015 s'annonce sous les meilleurs auspices. La piscine tourne à plein régime, accueillant les rires des enfants en vacances et les nageurs en quête de fraîcheur. En coulisses, la municipalité a engagé des travaux de rénovation énergétique, une démarche louable visant à moderniser encore l'équipement et à réduire son empreinte écologique. C'est au cours de ce chantier, en inspectant les entrailles du bâtiment, que les ouvriers font une découverte qui va glacer le sang de toute la commune. Derrière les habillages et les faux-plafonds, cachée à la vue de tous depuis des décennies, la charpente métallique de 1936 révèle un mal insidieux et profond. L'humidité et le chlore ont fait leur œuvre : l'acier est rongé par une corrosion si avancée qu'elle menace l'intégrité même de la structure.

La nouvelle tombe comme un couperet. Face au risque d'effondrement, il n'y a pas de place pour l'hésitation. Le principe de précaution s'impose. En juin, la décision est prise de fermer immédiatement la piscine au public. On parle alors d'une fermeture temporaire, de quelques mois tout au plus, le temps de réaliser un diagnostic complet et d'envisager des réparations. Mais au fond, l'inquiétude est déjà palpable.

Les expertises menées dans les semaines qui suivent confirment les pires craintes. Le rapport des bureaux d'études est accablant, les mots sont crus : "graves désordres structurels". Le mal est bien plus étendu qu'on ne l'imaginait. Les piliers de soutien, masqués par les coques en béton installées lors des rénovations précédentes, sont eux aussi attaqués. La première estimation du coût des travaux donne le vertige : il faudra plus de trois millions d'euros pour sauver le bâtiment. Leforest vient de perdre sa piscine, et personne ne sait pour combien de temps.

Chapitre 8 : La longue traversée du désert (2015 - 2019)

Les mois se transforment en années. La fermeture "temporaire" devient une réalité permanente, un vide au cœur de la ville. Pour des milliers d'usagers, c'est le début d'un quotidien bouleversé. Les 2 300 scolaires qui apprenaient à nager dans ses bassins sont contraints de prendre le bus, répartis entre les piscines voisines de Courcelles-les-Lens ou Hénin-Beaumont, grâce à des conventions signées en urgence. Pour les clubs sportifs, c'est un véritable séisme. Leforest Natation doit s'exiler à Billy-Montigny puis à Sin-le-Noble pour continuer à s'entraîner. De 200 licenciés, le club chute à une petite trentaine, survivant grâce à l'abnégation de ses bénévoles et à la passion de ses nageurs les plus fidèles.

Chez les habitants, le choc laisse place à la tristesse, puis à l'impatience et à la mobilisation. Une association, "Tous pour la piscine de Leforest", voit le jour, portant la voix de ceux qui refusent de voir ce patrimoine disparaître. Pendant ce temps, en mairie, un autre combat a commencé. Comme l'explique le bulletin municipal de mai 2019, le processus est long et complexe. Il faut lancer des études, monter un comité de programmation. La question fondamentale est posée : faut-il s'acharner à réhabiliter un bâtiment si endommagé, ou serait-il plus sage de le démolir pour construire du neuf ? Le cœur et la raison s'affrontent. Finalement, une décision forte est prise : la façade Art déco, témoin de l'audace de 1936, sera conservée. Elle sera le visage d'une piscine entièrement reconstruite derrière elle. S'engage alors une quête acharnée pour réunir les fonds nécessaires, un marathon financier pour solliciter l'État, la Région Hauts-de-France, le Département du Pas-de-Calais, la Communauté d'Agglomération Hénin-Carvin (CAHC) et même les fonds européens du FEDER.

Chapitre 9 : Le chantier de la décennie

Fin 2019, les premiers engins de chantier apparaissent. Un immense espoir renaît. Le projet architectural a de quoi séduire : un parvis sécurisé, un hall d'accueil lumineux, le maintien des gradins historiques, des vestiaires modernes et, surtout, une innovation écologique majeure. Pour chauffer ses bassins, la nouvelle piscine utilisera une chaudière biomasse alimentée au Miscanthus, une graminée cultivée localement, notamment sur les anciennes terres polluées du site Metaleurop. Un symbole magnifique, liant l'avenir de la piscine à la reconversion écologique du territoire.

Mais ce chantier, attendu comme le messie, va se transformer en chemin de croix. À peine débuté, il est stoppé net par la pandémie de Covid-19 en 2020. Quand il reprend, il est freiné par de mauvaises surprises techniques et des difficultés d'approvisionnement. Le coût des matériaux s'envole. Et en 2022, le drame : l'entreprise en charge du gros œuvre, Gauthiez-Taquet, est placée en liquidation judiciaire. Le chantier est à l'arrêt, squelette de béton à ciel ouvert, exposé aux vents et aux regards désolés des passants. Le doute s'installe. Le projet, dont le coût initial était de 5,8 millions d'euros, voit sa facture grimper à près de 8 millions. Il faut repartir à la chasse aux subventions, renégocier avec les partenaires, trouver une nouvelle entreprise capable de reprendre un dossier aussi complexe. Après des mois de procédure et d'angoisse, c'est finalement la société Artebat qui est choisie pour achever les travaux. En 2023, les grues se remettent enfin en mouvement. La dernière ligne droite a commencé.

Partie IV : Le nouvel âge (Septembre 2025 et au-delà)

Chapitre 10 : La réouverture, dix ans après

Le samedi 6 septembre 2025, dix ans, deux mois et quelques jours après sa fermeture brutale, la piscine de Leforest appartient de nouveau à ses habitants. Le temps d’un week-end portes ouvertes, avant même le premier plongeon officiel, la commune a souhaité que les Leforestois se réapproprient les lieux. Et l'émotion est immense, presque palpable. Ils sont venus par centaines, anciens nageurs aux cheveux gris, parents curieux et enfants impatients, pour découvrir le résultat de cette décennie de combat. Dans les regards, on lit la nostalgie des souvenirs passés qui resurgissent au détour d'un vestiaire ou à la vue des gradins conservés, mais aussi l'émerveillement face à la modernité et à la lumière du nouvel équipement. Les témoignages recueillis ce jour-là racontent tous la même histoire : celle d'un patrimoine sauvé, d'un lien retrouvé.

Puis vient le grand jour. Le lundi 15 septembre 2025, l'eau du grand bassin frémit enfin sous les mouvements des premiers nageurs. La piscine n'est plus un chantier, ni un musée : elle est rendue à sa vocation première, celle d'accueillir la vie. Pour marquer ce nouveau départ, tout a été repensé. Une nouvelle grille tarifaire, plus adaptée, a été validée lors du conseil municipal du 26 juin précédent. De nouvelles activités, comme l'aquagym ou le circuit training, sont proposées pour attirer un public plus large, tandis que les séances pour les bébés nageurs sont prêtes à accueillir les plus jeunes Leforestois. Dans les semaines qui vont suivre, les bus scolaires reprendront leur ballet familier. Les clubs, après leur long exil, retrouveront leur bassin pour entamer leur reconstruction. Le son des sifflets des maîtres-nageurs, les rires et les éclaboussures résonneront à nouveau entre les murs. La longue parenthèse sera refermée. La piscine de Leforest sera bel et bien vivante.

Épilogue : Plus qu'une piscine, un héritage

Ainsi s'achève notre plongée dans le temps, au fil des quatre-vingt-dix années qui ont façonné l'histoire de la piscine de Leforest. De l'audace visionnaire du Front Populaire à la désolation du chantier à l'arrêt, de la joie simple des sandwichs au pâté d'Adèle "Marie" à la complexité des montages financiers, cette chronique a raconté bien plus que la vie d'un bâtiment. Elle a raconté la vie d'une ville. Car la piscine est un miroir dans lequel se reflètent les visages de tous les Leforestois : ceux des enfants apprenant à nager sous l'œil attentif de Marcel Devred, de Raphaëlle Arif, de Dominique Morel, ou encore Roger Ciesielski et de bien d'autres encore ! Ceux des ouvriers trouvant un réconfort hygiénique après la mine, ceux des sportifs vibrant au rythme des compétitions, et ceux, enfin, des citoyens et des élus qui se sont battus pour ne pas la laisser mourir.

Son histoire est une leçon de résilience. Éprouvée par la guerre, usée par le temps, menacée d'effondrement, elle a su renaître de ses cendres à chaque fois, portée par un attachement collectif qui ne s'est jamais démenti. Elle est la preuve que certains lieux ont une âme, qu'ils transcendent leur simple fonction pour devenir des marqueurs d'identité, des points de repère dans la mémoire collective. Elle est un trait d'union entre les générations, un héritage que les anciens, qui y ont nagé leurs premières brasses, transmettent aujourd'hui à leurs petits-enfants avec une fierté intacte.

Aujourd'hui, en 2025, l'eau du grand bassin ne reflète plus seulement le passé et sa façade Art déco magnifiquement préservée. Elle reflète l'avenir. En se dotant d'une technologie écologique de pointe, en s'ouvrant à de nouvelles pratiques, la piscine de Leforest ne se contente pas de revivre : elle se réinvente. Elle porte en elle la promesse de nouvelles joies, de nouvelles rencontres, de nouveaux souvenirs à construire pour les décennies à venir. Le flambeau a été transmis. L'odyssée continue.

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